A radiation warning sign by a forest pathway in a gloomy setting.

Vivre la non exclusivité avec ses insécurités : attachement, schémas et ancrages


Cet article est associé au parcours thématique (Bien) Vivre l’ouverture – Insécurités, attachement et schémas relationnels

Il y a des personnes pour qui l’idée d’ouvrir leur couple fait immédiatement émerger une sensation de liberté. Et d’autres pour qui cette même idée soulève une vague de peurs à peine formulées, mais bien présentes : peur de ne plus être au centre, peur d’être comparé·e, peur de devenir accessoire.
Ces peurs sont souvent tues, masquées derrière un discours de tolérance ou de bienveillance, mais elles n’en sont pas moins actives. Elles ne disent pas qu’on est incapable d’aimer autrement — elles disent que certaines parts de soi n’ont pas encore trouvé leur place dans ce “autrement”.

Dans un couple non-exclusif, ces insécurités sont parfois traitées comme des obstacles à dépasser. Comme s’il fallait d’abord “régler ses blessures” avant de pouvoir prétendre aimer de manière fluide, consciente, multiple. Mais on peut retourner cette idée : et si l’ouverture était justement le terrain où nos blessures s’expriment, se dévoilent, parfois se rejouent — mais aussi, parfois, se réparent ?

Ce texte ne cherche pas à simplifier. Il cherche à donner de la lisibilité.
Parce que ce qu’on appelle insécurité est rarement un bloc à éliminer. C’est souvent une superposition de plusieurs couches : des vécus anciens qui résonnent, des styles d’attachement plus ou moins souples, des scénarios intérieurs qui se réactivent dès qu’on sent que quelque chose nous échappe.

On n’est pas obligé d’avoir tout soigné pour vivre une relation ouverte.
Mais on gagne à savoir ce qui se joue — et à repérer les points de bascule avant qu’ils ne deviennent des angles morts.


L’ouverture, un terrain fertile pour les insécurités

L’ouverture ne fabrique pas l’insécurité. Elle la révèle.
Elle ne crée pas un terrain instable, elle vient simplement remettre en mouvement ce qui, jusque-là, tenait debout par la force de l’habitude ou de la structure monogame.
C’est souvent quand on retire le cadre par défaut — l’exclusivité, l’évidence de la place, la hiérarchie implicite des liens — que les peurs deviennent audibles.

Ce qui revient le plus souvent, ce ne sont pas des cris ni des conflits. Ce sont des sensations diffuses :
– une impression de compter un peu moins ;
– une peur de la comparaison, parfois dans des détails très concrets (le corps, le désir, la disponibilité mentale) ;
– une forme d’effacement dans l’emploi du temps, dans les mots, dans les gestes.

On ne peut pas toujours dire pourquoi ça serre, c’est une confrontation naturelle entre un espace de liberté nouvelle et les fondations émotionnelles anciennes.

Les insécurités n’apparaissent pas parce qu’on fait quelque chose de mal. Elles apparaissent parce qu’on entre dans un espace relationnel où les repères sont moins donnés.
Et dans cet espace, chacun·e essaie de maintenir une forme de stabilité intérieure, avec les outils qu’il ou elle a.

Ce que permet l’ouverture, ce n’est pas de tout balayer d’un coup.
C’est, au contraire, de voir ce qui se rejoue — et de choisir, peut-être, de ne plus faire comme avant.

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Les styles d’attachement : ce qu’ils viennent activer (ou figer)

Parler d’attachement, ce n’est pas étiqueter les gens, ni réduire un lien à une catégorie.
C’est prendre au sérieux l’idée que, dans toute relation, une part de nous cherche la sécurité — pas forcément la stabilité matérielle ou la permanence affective, mais un ancrage interne qui nous permet de sentir que le lien est habitable.

Les théories de l’attachement, issues des travaux de Bowlby puis affinées depuis, décrivent des styles qui ne sont pas des diagnostics, mais des tendances : des manières d’être en lien, façonnées très tôt, consolidées par les premières expériences affectives, et réactivées dans des contextes émotionnellement significatifs…et qui peuvent évoluer.

On distingue généralement quatre grands styles :
– l’attachement sécure, dans lequel la proximité ne menace pas l’autonomie, et la distance n’est pas vécue comme un rejet ;
– l’attachement anxieux, caractérisé par un besoin fort de réassurance, une peur d’être abandonné·e ou relégué·e, et une hypervigilance constante aux signes de désengagement ;
– l’attachement évitant, qui se traduit par une tendance à minimiser les besoins relationnels, à se retirer pour se protéger, ou à maintenir l’autre à distance pour préserver une forme d’indépendance émotionnelle ;
– et l’attachement désorganisé, plus rare, qui combine les deux polarités de manière instable, avec des comportements parfois contradictoires et une difficulté à construire une sécurité relationnelle durable.

Dans un couple monogame, ces dynamiques peuvent passer relativement inaperçues, car la structure du lien impose une forme de proximité par défaut.
Mais dans une relation ouverte, où la liberté de chacun·e est explicitement reconnue, les mécanismes d’attachement ont plus d’espace pour se déployer — ou pour se crisper.

L’attachement anxieux peut, par exemple, être exacerbé par l’arrivée d’un·e autre partenaire : chaque absence devient une menace, chaque silence un signal, chaque nouvelle relation un possible glissement de statut.
L’attachement évitant, à l’inverse, peut s’accrocher à la liberté comme à une justification pour ne pas se rendre disponible émotionnellement, en s’abritant derrière l’idée que “chacun·e vit ce qu’il veut”.

Et même l’attachement sécure n’est pas à l’abri de zones de fragilité : il peut être mis à l’épreuve par un changement de dynamique, un déséquilibre inattendu, une parole de l’autre qui résonne plus fortement qu’on ne l’aurait cru.

L’enjeu ici n’est pas de se ranger dans une case (surtout pas!), c’est de pouvoir reconnaître ses propres mouvements internes, ses réflexes, ses attentes silencieuses, et de comprendre comment ils influencent ce qu’on vit… ou ce qu’on redoute. Etre aussi plus familier avec les réactions et ressentis de son/sa/ses partenaires, en connaissant mieux leur style d’attachement et ce qu’il implique.

On peut, en l’observant avec honnêteté, commencer à en assouplir les contours, à désamorcer certaines réactions automatiques, et à retrouver un peu plus de choix là où il n’y avait que des réflexes.

Explorer le guide de réflexion guidée sur l’attachement et ses styles ici

Les schémas affectifs : quand le passé colore le présent

Il y a ce qu’on croit vivre — et il y a ce qu’on rejoue sans le savoir.
Les relations ne sont jamais vierges. Elles portent en elles une mémoire émotionnelle, souvent silencieuse, faite de ce qu’on a appris très tôt à attendre (ou à ne pas attendre) des autres.
Ce sont ces attentes implicites, ces scénarios intérieurs, qui constituent ce qu’on appelle les schémas affectifs.

Un schéma n’est pas une théorie. C’est une empreinte. Une manière d’interpréter ce qui se passe autour de soi à partir d’un vécu ancien :
– si j’ai appris que l’amour se gagne en se rendant indispensable, je vais avoir tendance à tout donner, même quand ce n’est pas demandé ;
– si j’ai appris que me montrer vulnérable me met en danger, je vais tout faire pour rester opaque, même quand j’aimerais être rejoint·e ;
– si j’ai appris qu’on m’oublie dès que l’autre est occupé ailleurs, chaque détour relationnel deviendra un risque de disparition.

Ces logiques sont rarement conscientes.
On se surprend à réagir trop fort, trop vite, trop souvent. À sentir que ce qui se passe ici maintenant a une intensité qui ne correspond pas à la situation seule.

Et l’ouverture, dans ce contexte, fonctionne souvent comme un révélateur.
Parce qu’elle enlève les garanties implicites.
Parce qu’elle fait entrer d’autres personnes dans le champ.
Parce qu’elle bouscule l’ordre établi — même si cet ordre ne convenait plus vraiment.

Certaines personnes découvrent, dans l’ouverture, des schémas qu’elles croyaient avoir dépassés : une peur de ne pas être choisie, un besoin d’être la seule, un réflexe de dissimulation dès qu’elles vivent du désir ailleurs.
D’autres y trouvent au contraire un espace pour interroger ces schémas : est-ce que je réagis à ce que l’autre fait, ou à ce que j’ai appris à redouter ? Est-ce que ce que je ressens est une alerte du présent, ou un écho du passé ?

Il n’est pas nécessaire de déconstruire tous ses schémas pour vivre un lien ouvert.
Mais il est utile de savoir qu’ils peuvent s’activer fortement dans ce contexte, et que les nommer, les repérer, les mettre en perspective, peut déjà transformer la manière dont on les vit.

Un schéma n’a pas besoin d’être éradiqué.
Mais pour ne pas être pris·e dedans, encore faut-il pouvoir le reconnaître quand il se rejoue.

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Entre liberté et ancrage : comment rester en lien avec soi

L’ouverture relationnelle est souvent pensée comme un appel à la liberté.
Mais pour pouvoir s’y engager sans se perdre, encore faut-il savoir de quoi on a besoin pour rester aligné·e, pour rester en lien avec soi pendant que l’on reste en lien avec l’autre.

Ce que permet la liberté, ce n’est pas l’absence de structure.
C’est la possibilité de reconfigurer ses repères, de négocier un lien plus conscient, plus ajusté. Mais cette liberté n’a de valeur que si elle s’appuie sur un ancrage réel — quelque chose à quoi l’on revient quand tout s’agite autour.

Pour certaines personnes, cet ancrage passe par des repères simples : un message le matin, un repas par semaine, une présence symbolique sur le long terme.
Pour d’autres, il se joue dans un niveau de transparence, une manière d’être inclus·e dans le récit, une forme d’exclusivité sur un territoire précis.
Il n’y a pas de bonne formule, mais il y a une question essentielle : qu’est-ce qui, pour moi, permet au lien de rester habitable ?

On peut avoir peur, et rester ouvert·e.
On peut poser une limite, et rester dans le mouvement.
On peut dire “là j’ai besoin de toi” sans que cela remette en cause la légitimité des autres liens.

Le piège, ce n’est pas de ressentir des tensions. C’est de croire qu’elles sont un échec.
Beaucoup s’imaginent que l’ouverture ne fonctionne que si tout est fluide, si aucun inconfort ne surgit, si chacun·e se montre toujours parfaitement mature.
Mais en réalité, c’est la capacité à parler de ces tensions, à les reconnaître, à en faire des points d’appui, qui rend possible un lien plus fort.

Rester en lien avec soi, c’est pouvoir se dire :
“Je veux vivre cela, mais pas à n’importe quel prix.”
“Je peux composer, mais je veux comprendre à quoi je dis oui.”
“Je peux faire de la place, mais pas me déloger.”

Ce n’est pas un repli. C’est une présence.

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Pistes d’ajustement : réguler sans se refermer

Quand une insécurité se manifeste dans une relation ouverte, le réflexe peut être double : soit on la tait, pour ne pas faire obstacle au lien ou à l’idéal qu’on vise, soit on la transforme en revendication urgente, à laquelle l’autre doit répondre tout de suite.
Mais il existe un troisième espace : celui de la régulation lucide. Un espace où l’on peut reconnaître ce qui se passe, sans le nier ni le dramatiser, et ajuster ce qui peut l’être — pour soi, pour le lien, pour la suite.

La première question à poser, quand une insécurité surgit, c’est :

Est-ce que ce que je ressens est lié à ce qui se passe ici, maintenant — ou est-ce que ça réveille quelque chose de plus ancien, de plus large, que le lien actuel ne fait qu’activer ?

Ce n’est pas toujours simple à déterminer, mais formuler cette question crée un décalage précieux.
Elle permet de ne pas faire porter à l’autre toute la charge de ce que je vis, sans pour autant m’obliger à tout gérer seul·e.

Ensuite vient le temps de la parole.
Dire ce qu’on ressent n’est pas une injonction émotionnelle à poser. Ce n’est pas un exercice de transparence absolue. C’est une manière de rendre visible un vécu, sans y coller une accusation.
Il y a une grande différence entre dire “je vis ça, et je cherche à comprendre” et dire “tu me fais vivre ça, et tu dois changer”.
Et cette différence transforme souvent l’espace de réception.

Formuler ce qui fait mal, ce qui inquiète, ce qui active un schéma ou une angoisse, n’a pas pour fonction d’obtenir une réparation immédiate. Cela sert d’abord à réintroduire du choix là où l’émotion risquait de figer les positions.

Et dans cette dynamique, ce qui aide, ce sont aussi les efforts visibles de part et d’autre.
Pas les solutions miracles. Mais les petits gestes de régulation réciproque :
– poser un mot quand on sent que l’autre se fige ;
– rassurer sans infantiliser ;
– faire de la place à ce qui déborde, sans s’y noyer.

Ce qu’on vise, ce n’est pas de supprimer les insécurités.
C’est de les rendre habitables.
C’est d’en faire des signaux à écouter, et non des dangers à éviter.

Conclusion

Vivre une relation ouverte ne suppose pas d’être invulnérable, ni d’avoir guéri tous ses doutes, ni d’incarner un modèle de maturité relationnelle sans faille.
Cela suppose simplement de savoir qu’un lien où la liberté est réelle aura forcément ses zones d’ombre, ses tremblements, ses tiraillements — et que ces mouvements ne sont pas des anomalies. Ce sont des expressions du réel.

Ce qui compte, ce n’est pas de ne rien ressentir.
C’est de savoir, quand quelque chose se déplace, comment rester présent·e à soi.
Comment parler sans accuser, écouter sans se nier, ajuster sans se durcir.

Les insécurités ne sont pas des défauts.
Les styles d’attachement ne sont pas des prisons.
Les vieux schémas ne sont pas des fatalités.
Ce sont des données de départ. Des héritages. Des zones sensibles qu’on apprend à reconnaître pour ne pas leur laisser le volant.

Et si l’ouverture a une vertu, c’est peut-être celle-là : elle rend visible ce qui restait flou, elle déplace ce qui était figé, elle invite à faire du lien non un refuge, mais un espace vivant — habité, interrogé, revisité.

Rien n’oblige à être parfait·e pour ouvrir.
Mais savoir ce qui nous rend vulnérable permet, parfois, de ne pas confondre liberté et insécurité.

Vous pouvez trouver tous les outils dans le parcours thématique  » (Bien) vivre l’ouverture« 

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