Quand l’amour fait mal : bienveillance ou respect de soi, faut-il choisir ?
Et si la vraie clé, ce n’était pas de trouver un équilibre parfait, mais de savoir quand et pourquoi on souffre ?
Aimer sans se trahir : le dilemme silencieux
Dans l’idéal, aimer quelqu’un, c’est vouloir son épanouissement. C’est accepter qu’il ou elle explore, vive, ressente, grandisse. On se veut accueillant·e, non possessif·ve, mature. On se dit que c’est ça, aimer librement.
Mais dans les faits ? Ce n’est pas toujours si simple.
Parce que parfois, ce que l’autre vit en toute liberté nous coûte. Il part passer un week-end avec un nouvel amour, et on se retrouve seul·e dans un vide qui pique. Il rentre tard d’un rendez-vous excitant, et on avale de travers notre propre soirée solitaire. On se dit « je suis content·e pour lui, pour elle », mais on ne dort pas bien. Une forme de dissonance s’installe.
Et cette dissonance, on ne sait pas toujours quoi en faire.
Bienveillance envers l’autre vs respect de soi : un faux dilemme ?
Dans ce genre de situation, deux élans se croisent — et parfois se frottent.
D’un côté, la bienveillance : je veux que tu vives ce qui te rend heureux·se, même si ça ne m’inclut pas toujours.
De l’autre, le respect de soi : je veux exister comme sujet, pas seulement comme spectateur·rice. Je veux que mon rythme, mes besoins, mes émotions comptent.
Le piège, c’est de croire qu’il faut choisir.
Comme si la générosité excluait la fermeté. Comme si poser des limites, c’était forcément empêcher l’autre d’être libre. Ou, à l’inverse, comme si accueillir l’autre, c’était forcément se faire passer après.
En réalité, ces deux pôles — bienveillance et respect de soi — peuvent coexister. Mais pas sans nuance. Et pas sans friction.
L’exemple concret : je me réjouis… et je souffre
Prenons un cas courant. Ton ou ta partenaire vit une nouvelle histoire. Il est amoureux. Elle rayonne. Tu le vois. Et tu es sincèrement content·e pour lui, pour elle.
Et pourtant, tu souffres.
Parce que tu sens que la fréquence de vos échanges diminue. Que les temps à deux sont rognés. Que la disponibilité mentale n’est plus la même. Parce que quelque chose de ton lien se transforme, et que ce n’est pas neutre.
Alors que faire ? Se taire, au nom de la liberté ? Exiger un retour au cadre initial, au nom du respect de soi ? Se replier ? Lâcher ?
Il n’y a pas de réponse toute faite. Mais il y a une question à poser clairement : qu’est-ce qui, ici, me blesse vraiment ?
Douleur ou non-respect ? Faire le tri
Ce n’est pas parce qu’une situation fait mal qu’elle est injuste. Et ce n’est pas parce qu’on veut se sentir bien qu’on est dans une posture éthique.
Il faut apprendre à distinguer plusieurs choses :
- Une douleur légitime : ce que je ressens mérite d’exister, d’être accueilli.
- Une douleur signal d’alarme : quelque chose dans ce lien me dépasse, me déstructure, me fait du mal durablement.
- Une douleur miroir : ce que l’autre vit me renvoie à mes peurs, mes manques, mes constructions personnelles.
Certaines douleurs sont un appel à poser une limite. D’autres, un appel à grandir. Le tout est de ne pas les confondre.
Et c’est précisément là que beaucoup se perdent : en se forçant à encaisser au nom de l’amour, ou en bloquant l’autre au nom d’une fausse blessure qu’ils n’ont jamais questionnée.
Poser une parole qui relie, pas qui accuse
Ce que beaucoup cherchent dans ces moments, c’est une permission : celle de dire leur inconfort sans culpabiliser. De ne pas être parfait·e. De ne pas tout gérer en silence.
Et cette permission, il faut se la donner.
On peut dire :
« Je suis heureux·se que tu vives quelque chose de fort, mais j’ai besoin de sentir qu’on existe encore, toi et moi. »
Ou encore :
« Je ne t’en veux pas, mais là, je ressens un manque, une solitude. Et j’ai besoin qu’on en parle. »
Ce n’est pas une revendication, ni une punition. C’est une mise à jour. Une manière de dire à l’autre : « Je te laisse libre. Mais je veux que tu m’entendes. »
Conclusion : l’équilibre n’est pas une ligne droite
Être bienveillant·e sans se renier, c’est un art.
Un art qui demande de l’écoute, de la lucidité, et du courage. De ne pas fuir les inconforts sous couvert d’ouverture. De ne pas imposer des bornes rigides sous couvert de respect.
La question n’est pas : faut-il choisir entre aimer l’autre et se respecter soi ?
La vraie question est : comment rester en lien avec moi-même pendant que je reste en lien avec l’autre ?
C’est ça, l’enjeu. Et il est exigeant. Mais il est beau.