Parler aux enfants de notre mode relationnel : entre cohérence, réalité et choix relationnels
Cet article est associé au guide de réflexion – Parler aux enfants, ce qu’on dit ce qu’on choisit – que vous pouvez consulter ici . Tous les outils du parcours thématique (Bien) Vivre la non-exclusivité sont à retrouver ici.
Aborder le sujet de l’ouverture du couple avec ses enfants reste, pour beaucoup, un terrain flou. Pas tabou, mais incertain. On ne sait pas si c’est nécessaire, ni ce qu’il faudrait dire, ni quand, ni comment.
Or ce qui est en jeu n’est pas tant la transparence que la cohérence. Ce n’est pas une question d’honnêteté pure, mais de clarté relationnelle : comment s’assurer que l’enfant trouve sa place, perçoit la stabilité dont il a besoin, sans pour autant nier ou dissimuler des éléments qui, de fait, appartiennent à la vie familiale ?
Ce texte n’a pas pour but de trancher ni de proposer un modèle à suivre. Il cherche à ouvrir un espace de réflexion nuancé, nourri de ce que la littérature scientifique actuelle nous apprend sur les familles non conventionnelles, et ancré dans une approche réaliste, sensible, adaptée aux choix et au rythme de chacun·e.
La présence des autres, pour un enfant, n’est pas un problème en soi
Contrairement à ce que certaines représentations laissent entendre, les enfants ne sont pas perturbés par le fait que plusieurs adultes gravitent autour d’eux. Ce qui les déstabilise, ce n’est pas le nombre, ni la forme des liens, mais l’instabilité relationnelle ou les zones d’ombre qu’ils ne savent pas comment interpréter.
Les recherches menées par Milaine Alarie et ses collègues (INRS, 2022) montrent que les enfants élevés dans des configurations polyamoureuses établies vivent souvent ces expériences de manière positive, tant que les adultes impliqués sont bienveillants, cohérents et respectueux de leur cadre de sécurité. Ce qui compte, ce n’est pas le statut de la personne (partenaire secondaire, amoureux·se d’un parent, etc.), mais la qualité du lien qui s’établit — ou non — avec l’enfant.
Autrement dit, ce n’est pas la structure qui pose problème, c’est le flou, les tensions non dites, les relations parallèles vécues comme des secrets ou comme des éléments instables du quotidien. Ce que l’enfant perçoit, ce ne sont pas les choix de ses parents, mais la manière dont ces choix s’articulent, se vivent, se nomment — ou s’évitent.
Parler ou ne pas parler ? Ce n’est pas une opposition, mais une gradation
La question n’est pas binaire. Il n’y a pas, d’un côté, les parents qui “assument” et expliquent tout, et de l’autre, ceux qui “cachent” et évitent le sujet.
La réalité, comme le montre une étude publiée dans Service social (2021, Erudit.org), est beaucoup plus nuancée. Ce que choisissent de dire les parents polyamoureux dépend de plusieurs facteurs : l’âge de l’enfant, le type de lien concerné, la stabilité perçue des partenaires, et le niveau de risque social associé (environnement scolaire, regard de la famille élargie, contexte juridique…).
Parler à un enfant de cinq ans qu’un·e partenaire vient parfois dormir à la maison n’est pas la même chose que répondre aux questions directes d’un adolescent sur le fonctionnement amoureux de ses parents. Et il est parfaitement légitime que les réponses varient, non par stratégie d’évitement, mais parce que les enfants eux-mêmes n’ont pas besoin des mêmes repères à tous les âges.
Certains parents optent pour une forme de neutralité tranquille : ne rien cacher, ne rien imposer, laisser l’enfant poser ses questions si elles viennent. D’autres préfèrent anticiper, poser un cadre, nommer les personnes. D’autres encore différencient ce qui est visible (présence physique, affection manifestée) de ce qui relève de la vie privée.
Le point commun entre toutes ces approches, c’est qu’aucune n’est figée. Elles évoluent avec le temps, les contextes, les enfants. Et ce que cette étude met en évidence, c’est qu’il n’existe pas un bon seuil de transparence : il existe une capacité à rester attentif, à s’ajuster, à reformuler au besoin.
Comment en parler ? Ce que l’enfant a vraiment besoin de savoir
Ce que montre aussi la littérature, c’est que les enfants ne posent pas les questions que les adultes redoutent.
Ils ne cherchent pas à tout savoir. Ils cherchent à comprendre s’ils sont en sécurité, si les adultes autour d’eux sont stables, et si l’amour dont ils sont l’objet reste une donnée fiable.
Les apports des approches de parentalité bienveillante (Faber & Mazlish ; Vermont) confirment cela : l’enfant a besoin de repères clairs, de réponses simples, de formulations rassurantes, adaptées à son âge. Pas d’un exposé sur les structures relationnelles.
Concrètement, cela peut vouloir dire :
– nommer les partenaires sans les définir comme “l’amoureux·se de maman/papa”, mais comme quelqu’un qu’on voit, qu’on apprécie, qui fait partie de notre vie ;
– expliquer que les adultes peuvent aimer plusieurs personnes à la fois, sans que cela remette en question leur engagement auprès de leur enfant ;
– poser des phrases brèves, sincères et suffisantes, en laissant de l’espace aux questions sans les devancer.
Ce que l’enfant attend, ce n’est pas une transparence absolue. C’est une lisibilité émotionnelle : savoir que les adultes sont fiables, que leur propre place n’est pas en jeu, et que l’environnement familial garde une cohérence qu’il peut comprendre, même partiellement.
Que faire quand on ne sait pas encore ?
Il n’est pas toujours évident de savoir ce qu’on veut transmettre. Certains parents sont eux-mêmes en train de trouver leur équilibre, de tester une forme de lien, de poser un cadre encore mouvant. Et dans ces moments-là, il peut être tentant de figer une réponse trop vite, ou au contraire de repousser indéfiniment la question.
Mais il n’est pas nécessaire d’avoir tout clarifié pour pouvoir en parler. On peut tout à fait dire à un enfant qu’on ne sait pas encore exactement comment les choses vont évoluer, qu’on le tiendra au courant si cela devient important pour lui, ou que certaines choses relèvent de la vie privée des adultes.
Ce qui compte, c’est que le non-dit ne devienne pas un flou généralisé.
On peut ne pas tout dire, mais ce qu’on dit doit être vrai.
Et surtout, il est possible de penser en termes de seuils de visibilité :
– ce que l’enfant voit ;
– ce qu’on choisit de commenter ou non ;
– ce qu’on pose comme cadre en cas de question.
Ce découpage permet de sortir du fantasme d’une vérité unique à révéler d’un coup, et d’assumer que les ajustements sont des réponses légitimes, tant qu’ils sont portés avec conscience et dans un souci de cohérence familiale.
Ce qu’on transmet en creux : une écologie relationnelle
Au-delà des mots, l’enfant apprend par imprégnation. Il perçoit les silences, les ajustements, les tensions contenues, mais aussi les formes de lien qui se vivent avec fluidité et simplicité. Il n’attend pas un discours normatif : il observe, il ressent, il intègre.
Et ce qu’il intègre, c’est que plusieurs modèles sont possibles.
Qu’il est possible de vivre des amours multiples, tout en restant engagé.
Qu’il est possible de parler de ce qu’on vit, sans tout expliquer.
Que la sincérité peut coexister avec la pudeur, et que la confiance n’exige pas la transparence absolue.
En faisant le choix de ne pas nier ce qui se vit — sans forcément l’exposer —, on transmet à l’enfant quelque chose de plus grand que notre propre fonctionnement : on lui transmet l’idée qu’une relation peut être pensée, choisie, réajustée.
Et que ce qui fait famille, ce n’est pas l’unicité du couple parental, mais la stabilité des liens, la clarté des places, et la possibilité de poser des mots quand c’est nécessaire.
Conclusion
Il n’y a pas une bonne manière de dire, ni un moment idéal pour le faire.
Il y a des enfants, des contextes, des configurations relationnelles, et des repères qu’on choisit ensemble de rendre visibles ou non, selon ce qu’ils soutiennent ou exposent.
Ce que l’on peut viser, ce n’est pas une transparence parfaite, mais une cohérence vivable : faire en sorte que ce qui se vit dans le couple n’installe pas autour de l’enfant des zones floues sur sa place, sur la solidité du lien, ou sur la légitimité de ses ressentis.
Et quand on part de là, on trouve souvent mieux que des réponses. On trouve une manière de faire famille qui se construit au présent, dans la continuité d’un lien qu’on assume comme vivant — donc ajustable.
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