Faire confiance dans un couple non-exclusif : stabilité, vulnérabilité et marge d’imprévu

Cet article est lié aux outils du parcours thématique (Bien) Vivre la non-exclusivité


La confiance est un mot qu’on utilise sans toujours savoir ce qu’on y met. On en parle comme d’un socle indispensable, un prérequis, une base évidente. Mais dans les faits, c’est souvent flou. On “fait confiance” comme on croise les doigts, ou on “perd confiance” sans pouvoir nommer ce qui, exactement, s’est déplacé.

Dans une relation ouverte, cette question devient encore plus centrale. Parce que l’on ne peut pas tout vérifier, ni tout cadrer. Parce que l’autre est amené à vivre des choses en dehors du couple, avec d’autres personnes, et que ces expériences, même choisies, peuvent créer de l’imprévu.
Dans ce contexte, la confiance n’est pas un luxe. Elle est le seul point fixe dans un système mouvant.

Mais encore faut-il savoir ce que cela signifie. Parce que “faire confiance” ne veut pas dire s’aveugler, ni renoncer à se protéger, ni se convaincre qu’on est au-dessus des affects.
Cela veut dire, très concrètement, créer les conditions pour pouvoir évoluer dans un espace relationnel qui reste lisible, même quand il bouge.

Ce texte propose d’explorer, sans dogme ni simplisme, ce que signifie faire confiance dans un couple ouvert. D’en revenir aux bases. De distinguer ce qui soutient de ce qui fragilise. Et de penser la confiance, non pas comme un idéal abstrait, mais comme une pratique active, capable d’apporter de la solidité sans rigidité.


Qu’est-ce que faire confiance ? Une définition à redéfinir

Faire confiance ne signifie pas croire que l’autre ne nous blessera jamais. Ce n’est pas une promesse de confort, ni un pari naïf sur la loyauté. Ce n’est pas un sentiment stable qu’on aurait ou pas — c’est un choix relationnel, qui engage une part de vulnérabilité assumée.

D’un point de vue scientifique, faire confiance, c’est accepter une forme de dépendance ou d’incertitude, en pariant sur la bienveillance, la cohérence et la prévisibilité du comportement de l’autre. C’est espérer que l’autre agira d’une manière qui ne trahira pas l’accord, le lien, ou les besoins fondamentaux en jeu, tout en sachant qu’on n’a aucune garantie.

Il y a donc trois dimensions :
– une attente (et non une certitude)
– un risque (plus ou moins conscient)
– une disposition à croire en l’intention de l’autre

Et dans un couple ouvert, ces trois dimensions sont constamment mobilisées. Parce qu’il y a de l’inconnu. Parce qu’il y a d’autres liens. Parce que le terrain bouge.

Faire confiance ici, ce n’est pas s’en remettre à l’autre, mais accepter que l’on construit du lien sans avoir besoin de tout contrôler, ni de tout verrouiller. C’est aussi reconnaître que, si la confiance existe, c’est parce que l’incertitude existe. Sans risque, il n’y aurait rien à “faire confiance”.


Comment elle se construit : régularité, clarté, cohérence

Confiance dans un couple ouvert : un défi à relever

La confiance ne se déclare pas. Elle se construit lentement, par couches successives, dans la répétition d’actes cohérents. Ce ne sont pas les grands discours qui comptent, mais la fiabilité ordinaire : les gestes répétés, les paroles tenues, les comportements prévisibles sans être figés.

Ce que les études montrent, c’est que la confiance s’étaye sur trois piliers très concrets :
– la constance (dans les paroles, les attitudes, les engagements)
– la clarté (ce qu’on dit, ce qu’on ne dit pas, et comment on le dit)
– la cohérence (alignement entre ce qui est exprimé et ce qui est vécu)

Dans une relation ouverte, ces piliers sont mis à l’épreuve de manière plus fréquente. Parce qu’on ne partage pas tout. Parce que chacun·e vit aussi en dehors du couple. Parce que le lien se co-construit dans un équilibre parfois mouvant, où il est facile de glisser vers le flou, l’à-peu-près ou le “ce n’est pas si grave”.

Mais c’est justement là que la confiance devient visible.
Elle se manifeste dans le fait de dire quand les choses changent, de tenir un accord ou d’en discuter avant de le modifier. Elle se manifeste quand ce que l’autre dit d’un lien correspond à ce qu’il incarne. Quand les mots ne précèdent pas trop les actes, et que les actes ne contredisent pas trop les mots.

Il ne s’agit pas de perfection. Il s’agit de lisibilité.


Ce qui la soutient : prévisibilité et liberté posée

Ce qu’apporte la confiance, ce n’est pas un contrôle de l’autre. C’est un sentiment de stabilité dans un environnement par définition ouvert. C’est une forme de prévisibilité, suffisamment solide pour ne pas vivre chaque nouveauté comme une menace.

Faire confiance, c’est pouvoir anticiper certains comportements, sans devoir les interdire. C’est savoir que, même si l’autre vit quelque chose de fort ailleurs, il ou elle restera lisible ici.
Pas figé·e. Mais prévisible.

Et la prévisibilité ne signifie pas l’absence de surprise. Elle signifie que, même dans l’imprévu, l’autre reste reconnaissable : dans ses valeurs, dans sa manière de nommer les choses, dans la façon dont il ou elle nous inclut, nous informe, nous considère.

Dans un couple ouvert, la prévisibilité est ce qui permet à la liberté de ne pas être ressentie comme une mise en danger. C’est ce qui transforme un lien potentiellement mouvant en espace d’évolution partagé, au lieu d’un champ d’incertitude unilatérale.

La liberté n’est pas l’opposée de la confiance. Mais pour qu’elle puisse coexister avec elle, encore faut-il que cette liberté soit posée, c’est-à-dire pensée, incarnée, assumée. Pas vécue comme un droit de retrait silencieux, ou comme une extension de territoire sans boussole.

Ce qui l’abîme : flou, contradiction, évitement

La confiance ne se rompt pas toujours brutalement.
Elle s’effrite souvent en silence, à travers des micro-décalages qui, isolément, ne paraissent pas graves, mais qui, cumulés, créent un terrain d’incertitude. Ce n’est pas l’existence d’autres liens qui l’érode, ni même la prise de risques partagés : c’est l’ambiguïté persistante, les non-dits chroniques, ou la dissonance entre ce qui est dit et ce qui est vécu.

Dans un couple ouvert, cela peut se manifester par des signes minimes : un détail éludé, un changement de rythme jamais nommé, une règle modifiée sans être reconnue comme telle. Ce sont ces moments où l’on sent que quelque chose a bougé, mais où l’on ne sait plus très bien si l’on peut en parler, ni sur quelle base on peut poser une question.

Les facteurs qui fragilisent la confiance sont bien documentés :
– les engagements flous ou redéfinis à posteriori
– les contradictions non assumées
– les silences qui forcent l’autre à deviner

Ce n’est pas l’erreur qui abîme la confiance. C’est le fait de la maquiller, ou de la glisser sous le tapis comme si elle n’avait jamais existé.
Et dans une relation ouverte, où les zones d’autonomie sont plus larges, ces silences prennent plus de place, car ils créent un doute sur la manière dont les règles communes sont encore respectées — ou déjà contournées.

La confiance, ici, n’a pas besoin de certitude.
Mais elle a besoin de clarté minimale, pour que chacun·e puisse continuer à s’appuyer sur un lien qu’il ou elle ne perçoit pas comme un terrain mouvant.


Quand la confiance est entamée : réparer, pas imposer

Quand la confiance a été abîmée, il est tentant de vouloir l’effacer par un retour rapide à la normalité.
Mais il n’y a pas de raccourci.
Réparer une confiance entamée demande d’abord de reconnaître ce qui a été ébranlé — non pas seulement dans les faits, mais dans la perception de l’autre.

Il ne suffit pas de dire que l’on n’a pas voulu blesser, ou que ce n’était pas grave. Il faut pouvoir entendre ce qui a été vécu comme une fracture, même si, pour soi, cela semblait anodin.
La première étape, c’est de nommer ce qui a été ressenti. Pas d’être d’accord, mais de l’accueillir.

Ensuite, la réparation passe par des actes visibles :
– un engagement reformulé
– une parole explicite
– un geste qui restaure la lisibilité du lien

Dans un couple ouvert, la confiance se répare rarement par des promesses d’exclusivité ou des garanties rigides. Elle se répare par un réajustement lucide des repères partagés : ce qu’on attend, ce qu’on propose, ce qu’on redéfinit.

Et enfin, il faut accepter que le rythme de l’autre puisse être différent.
La confiance se regagne, mais pas sur commande. Elle demande du temps, de la cohérence retrouvée, et surtout, la possibilité de formuler à nouveau ses besoins, sans crainte d’être jugé·e pour avoir douté.


Ce qu’on construit au-delà : une écologie de la confiance

Faire confiance, ce n’est pas baisser la garde.
Ce n’est pas croire que tout ira bien, ni s’en remettre aveuglément à l’autre.

C’est poser, en conscience, un cadre suffisamment solide pour accueillir l’imprévu sans se désorganiser, et suffisamment souple pour ne pas transformer la relation en territoire sous surveillance.

Dans une relation ouverte, la confiance devient une forme d’écologie relationnelle. Elle ne garantit pas l’absence de turbulences, mais elle permet de les traverser sans que le lien s’effondre.
Elle ne prévient pas les doutes, mais elle offre un terrain stable où ces doutes peuvent être posés, entendus, explorés — au lieu d’être étouffés ou redoutés.

Ce qu’on construit alors, ce n’est pas un modèle de couple parfait.
C’est une manière d’être ensemble où la liberté a un cadre, et où la stabilité ne dépend pas d’une structure figée, mais d’une attention réciproque.
C’est une sécurité affective non possessive, une capacité à dire sans se justifier, une manière d’évoluer sans avoir à tout réinventer à chaque mouvement.


Conclusion

Faire confiance dans un couple non-monogame, ce n’est pas renoncer à se protéger, ni renier la complexité des émotions. Ce n’est pas dire oui à tout, ni faire semblant que rien ne bouge.
C’est créer une architecture souple, vivante, à partir de laquelle on peut être deux — ou plus — sans se perdre dans les interstices.

C’est accepter d’ouvrir les repères, sans les dissoudre.
Et poser cette confiance, non comme une vertu à prouver, mais comme une pratique relationnelle, consciente, révisable, ajustée.

Parce qu’au fond, ce qui rend un lien solide, ce n’est pas son étanchéité.
C’est sa capacité à rester lisible, même quand il s’élargit.

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