Femmes, désir et double standard : ce qu’on croit, ce qu’on joue, ce qu’on tait
Introduction
“Les femmes ont moins de désir.”
“C’est hormonal.”
“Leur libido, c’est dans la tête.”
“Elles ont besoin d’amour pour avoir envie.”
Ces phrases circulent comme des vérités de bon sens.
Elles s’infiltrent dans les conversations ordinaires, les séries, les thérapies de couple, les blagues gênées.
Elles forment un arrière-plan si familier qu’on ne les entend plus.
Et pourtant, elles disent beaucoup.
Elles disent une société qui attribue le désir à l’homme, et la retenue à la femme.
Elles disent une construction culturelle où l’égalité passe par la performance… mais où le désir féminin, lui, reste soumis à un double regard : fasciné ou coupable, glorifié ou méprisé.
Ce texte ne prétend pas répondre à la question “qui a le plus de libido”.
Il propose de déplier une croyance : celle qui associe le féminin au manque, au retrait, au mystère — et qui oublie de demander ce que veulent vraiment les femmes, une fois qu’on les écoute.
1. “Les femmes n’ont pas la même libido” — une idée reçue omniprésente
C’est une affirmation qu’on entend partout, dans toutes les sphères :
→ les livres de développement personnel,
→ les articles grand public sur “la sexualité des hommes vs celle des femmes”,
→ les dialogues de séries où la femme “n’a plus envie” et l’homme “doit patienter”,
→ les discussions de groupe où une baisse de désir féminin devient une donnée de base, un invariant.
Et cette idée semble évidente : les femmes auraient un désir “émotionnel”, lent, fluctuant, alors que les hommes seraient plus directs, plus pulsionnels, plus spontanés.
Cette différence est souvent présentée comme biologique, appuyée par des arguments liés au cycle menstruel, à l’ovulation, aux hormones.
Mais quand on gratte un peu, ce fondement “scientifique” s’effondre ou devient très relatif : la libido ne se résume pas à la testostérone, et le désir humain est infiniment plus complexe que les courbes hormonales.
Ce qui reste, c’est une lecture genrée du désir, structurée par la culture plus que par le corps.
Et c’est ce cadre culturel qui façonne ce que chacun·e croit “normal” ou “légitime” de ressentir — ou de taire.
2. Quand le désir devient un privilège genré
Dans notre imaginaire social, le désir masculin est attendu, encouragé, célébré.
Un homme qui a envie, qui explore, qui collectionne, qui multiplie les expériences, est dans son rôle.
C’est “normal”, “naturel”, “sain”.
Mais une femme qui désire, qui ose, qui exprime un besoin physique ou sexuel clair ?
Elle est immédiatement assignée à un risque symbolique : celui d’être “facile”, “instable”, “trop”.
Elle n’est plus crédible. Plus pure. Moins désirable. Moins “respectable”.
C’est le même acte, mais pas la même lecture sociale.
Un homme peut parler de ses fantasmes : il est viril.
Une femme peut faire de même : elle est dérangeante, excessive, ou suspecte.
Le désir, en théorie, est neutre.
Mais en pratique, il est attribué comme un droit, et surveillé comme un danger.
3. Un double standard encore bien vivant
On voudrait croire que ces schémas appartiennent au passé.
Mais dans les faits, le double standard reste actif, y compris chez celles et ceux qui croient s’en être affranchi·es.
Un homme qui a eu beaucoup de partenaires est valorisé.
Une femme dans le même cas devra toujours, quelque part, se justifier.
Un homme qui couche dès le premier soir a “pris sa chance”.
Une femme dans la même situation risque de perdre la possibilité d’être perçue comme “sérieuse”.
Elle aurait “cédé”. Elle aurait “brûlé les étapes”.
Elle devient une conquête… mais plus une potentielle compagne.
Et ces écarts ne sont pas que théoriques : ils façonnent des comportements.
Des femmes qui se retiennent d’assumer une envie.
Des hommes qui surjouent un désir qu’ils ne ressentent pas vraiment.
Des jeux, des silences, des rôles intégrés non pas par stratégie… mais par adaptation sociale.
Ce n’est pas qu’on ment.
C’est qu’on apprend à jouer un rôle, parce que le rôle a été écrit avant même qu’on sache qu’il existait.
4. Ce que l’histoire du patriarcat a figé dans le désir
Si le désir féminin est encore si complexe à dire, ce n’est pas un hasard.
Historiquement, le corps des femmes a été contrôlé, surveillé, normé, précisément parce qu’il était porteur d’un pouvoir : celui de désirer, de choisir, de s’émanciper.
L’infidélité féminine, dans l’histoire patriarcale, a toujours été perçue comme plus dangereuse que celle des hommes : parce qu’elle menaçait la filiation, l’ordre, la propriété.
Et pour éviter cette menace, on a construit des récits.
On a fait de la virginité une vertu.
Du mariage une prison morale.
Du plaisir féminin un mystère, ou un problème à résoudre.
De la femme désirable une figure acceptable, mais de la femme désirante un risque.
Résultat : des générations de femmes éduquées à plaire… mais pas à vouloir.
À être convoitées… mais pas actives.
À se montrer sensuelles… mais à ne pas montrer qu’elles en ont envie.
Ce conditionnement n’a pas disparu.
Il s’est modernisé.
Mais il continue de murmurer à l’oreille de chaque femme qui se demande si elle a le droit d’avoir envie.
5. Et si on arrêtait de croire que tout est “naturel” ?
Le désir, comme l’amour, est traversé par des facteurs biologiques.
Mais il est aussi — et peut-être surtout — une construction sociale.
Il est autorisé, nourri, cultivé… ou au contraire censuré, réprimé, étouffé, en fonction de ce que l’environnement considère comme acceptable.
Alors si les femmes “semblent” avoir moins de désir…
Est-ce parce qu’elles en ont moins ?
Ou parce qu’elles ont appris à ne pas le nommer ?
À ne pas trop y croire ?
À ne pas le montrer, pour ne pas être mal vues ?
Et si les hommes semblent “ne pas pouvoir se contrôler”…
Est-ce parce qu’ils sont biologiquement programmés ?
Ou parce qu’ils sont culturellement excusés ?
Interroger ces évidences, ce n’est pas nier la diversité des ressentis.
C’est simplement ouvrir un espace de réinvention, où chacun·e peut ressentir librement, sans devoir jouer un rôle assigné à son genre.
Conclusion
Il est peut-être temps d’arrêter de croire que le désir a un sexe.
Qu’il est masculin par nature, féminin par adaptation.
Qu’il est fort chez l’un, fragile chez l’autre.
Ou qu’il doit, pour être accepté, entrer dans une norme de comportement genré.
Le désir est un mouvement vivant.
Il ne mérite ni d’être glorifié, ni d’être puni.
Il ne demande pas à être classé — juste à être écouté.
Et si on commençait à entendre, vraiment, ce qui vibre chez chacun·e, sans hiérarchie, sans excuse, sans verdict ?
Ce serait peut-être la première étape vers une sexualité qui libère, au lieu de cadrer.